Alice au pays des merveilles (Tim Burton)

Publié le par alice-in-wonderblog

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Appréciation : 6/10 


Une nouvelle adaptation (ou plutôt "réadaptation/suite" dans ce cas-ci) d'Alice par un réalisateur aussi inventif et farfelu que Tim Burton laissait présager un film que tout amateur de l'univers créé par Lewis Carroll rêvait de voir. Après des réussites dans le domaine du merveilleux et du fantastique tels que Edward Scissorhands, Beetlejuice ou encore Sleepy Hollow (pour ne citer que ceux-là), Burton semblait être le cinéaste idéal pour mettre en images les merveilleux délires non-sensiques et le foisonnement de personnages étranges de Carroll. De plus, après une version en animé de grande qualité mais forcément un peu trop sage et aseptisée de tonton Walt en 1950 et quelques autres tentatives peu inspirées d'autres cinéastes ne possédant ni les moyens techniques suffisants pour forger un Wonderland satisfaisant ni la verve subversive de l'oeuvre originale, je pensais là encore que la version burtonienne réussirait enfin à me combler. 

 

En effet, outre un budget effectivement conséquent qui a au moins permis au film de faire preuve d'une qualité artistique indéniable (merci à l'équipe technique à qui revient ce mérite), on pouvait par ailleurs compter a priori sur Burton pour jeté quelques pavés dans la mare trop tranquille d'une société victorienne percluse dans ses traditions et son puritanisme. Qu'on se souvienne de la manière dont Burton brocarda certains aspects de la société américaine dans Mars attacks ! ou Edward Scissorhands. Là encore, la promesse était belle. Concernant ce dernier point (autant en parler tout de suite), on notera malheureusement l'absence totale du moindre regard critique ou un tant soit peu subversif de l'Alice burtonien. 

Très gentille, consensuelle même, cette version fait carrément l'impasse sur tous ses aspects pour ne proposer, somme toute, qu'une aventure au premier degré et terriblement manichéenne. Certes, le début du film (la partie réaliste) esquisse bien (mais de manière très succinte) le conformisme victorien à l'occasion du mariage imminent d'Alice mais sitôt la jeune fille replongée dans le terrier du lapin blanc, il n'en est plus question. 

 

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Alors, bien sûr, on pourra me dire que le propos du scénario est ailleurs, ce dernier se concentrant essentiellement sur Alice elle-même, qui avec l'arrivée de l'adolescence (dernière étape avant la grisaille du monde des adultes), a beaucoup perdu de sa "plusoyance" comme il est dit dans le film. Autrement dit : Alice doute d'elle-même, elle subit les événements, elle a une fâcheuse tendance à trop laisser les autres prendrent les décisions qui lui reviennent. Le parcours de la jeune fille étant donc ici de retrouver cette "plusoyance" dont elle savait si bien faire preuve lorsqu'elle était enfant et lors de sa première visite au pays des merveilles. Mais il est justement assez piquant de constater que le film de Burton est malheureusement à l'image de cette altération de l'héroïne : si l'oeuvre de Lewis Caroll est bien "plusoyante", l'adaptation de Burton est en comparaison bien fade et n'arrive à aucun moment à passionner, en raison d'un scénario prévisible et mécanique, qui accumule vainement des scènes visuellement splendides mais qui n'inspirent trop souvent que de l'ennui.

 

Alors que l'oeuvre de Caroll, avec une liberté superbe, ne se soucie pas le moins du monde de proposer une véritable intrigue et n'en demeure pas moins enthousiasmante, le film de Burton est à l'opposé de cette démarche : imaginant une histoire (assez convenue) de renversement d'un régime (celui de la méchante Reine Rouge) grâce à une espèce de prophétie (bonjour l'originalité !) qui amène Alice à affronter le Jabberwock afin de, par voie de conséquence, destituer la cruelle monarque au profit de sa douce (et insipide) soeur, le film déroule donc son intrigue banale à la manière du rouleau de parchemin-prévisionnel. Là encore, à la place du joyeux délire sans entraves qu'était le livre de Carroll, on se retrouve enserré dans le carcan d'une aventure très linéaire avec, au programme : fuite, course-poursuite, emprisonnement, libération et pour conclure combat final et révolution. La routine, quoi... comme dans un blockbuster hollywoodien bien calibré. Triste constat quand on connaît l'esprit poético-absurde soufflant sur l'oeuvre originale ! Pour un peu, on pourrait presque dire que, de ce point de vue, Burton a réitéré les mêmes erreurs que dans sa médiocre version de La planète des singes de triste mémoire (beauté artistique contre banalité/linéarité du scénario et scènes prévisibles) si Alice n'était tout de même quelques crans au-dessus de ce dernier. Pour autant, il m'a laissé cette même impression d'être en présence d'un produit décoratif sans grande saveur.

 

Pourtant, donner une suite à une oeuvre que tout le monde connaît n'était pas une mauvaise idée et permettait (en théorie) de la renouveler et de générer quelques surprises. Hors, le film ne surprend à aucun moment, tant il se contente de recycler les personnages de l'oeuvre de Carroll sans parvenir à les incorporer dans une histoire, une structure, qui marquerait par son audace, sa folie, son originalité.

 

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Parlons-en, tiens, de folie ! Un des aspects les plus curieux du film de Burton est justement sa relative tempérance en la matière. Johnny Depp a beau se démener pour incarner un Chapelier censé être "fou", il paraît pourtant bien plus raisonnable et même pathétique que celui de Carroll. Dans ce genre d'exercice et malgré les accessoires farfelus de son accoutrement (vêtements, lentilles de contact, chapeau, cheveux oranges en brousaille, etc...), Depp nous a déjà offert des personnages délicieusement azimutés bien plus convaincants dans leur divergence (Ed Wood dans le film de Tim Burton, Jack Sparrow dans la série des Pirates des Caraïbes, Raoul Duke dans Las Vegas Parano, etc...). Plus grave encore : ce Chapelier-là fait preuve d'un altruisme et d'un courage de héros de cape et d'épées bien éloigné du Mad Hatter pinailleur, égoïstement replié dans sa folie et finalement un brin sinistre de Carroll, qui ne quitterait certainement pas sa tasse de thé pour aller bouter la Reine de Coeur hors du Wonderland ! Idem d'ailleurs pour le chat du Cheshire, Le Lièvre de Mars, la Chenille au narguilé et les autres. On notera aussi, d'ailleurs, le cas du Loir, qui, ici, a bizarrement l'apparence d'une souris (?) jouant les D'Artagnan d'opérette et renvoie désagréablement à une créature similaire vue dans Narnia (une comparaison assez tristement révélatrice, quand on y pense !).

 

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Seule la Reine de Coeur, à la fois imposante, délicieusement déjantée et pathétique, qui cultive bien ce petit grain de folie furieuse qui fait tant défaut au film, parvient véritablement à crever l'écran, laissant loin derrière les autres personnages. Son interprête, Helena Bonham Carter (actrice abonnée aussi, comme Depp, aux rôles de composition), est excellente et confirme tout le bien que je pouvais penser de cette actrice depuis Fight Club et Sweeney Todd.

 

Au final, l'Alice au pays des merveilles de Tim Burton, produit par Disney se révèle finalement... très disney justement mais, ultime ironie, bien inférieur au dessin animé de 1950 qui, somme toute, était nettement plus fidèle à l'oeuvre de Carroll (malgré sa façon d'arrondir quelques angles) et moins conventionnel que le film de Burton qui n'est ni la meilleure (ré)adapatation du chef-d'oeuvre de Lewis Carroll ni même un des meilleurs crus de la filmographie du réalisateur. 

Car il est patent pour moi que, esprit "lewiscarrolien" ou non mis à part, le réalisateur n'est pas parvenu non plus à se montrer à la hauteur... de sa propre "folie". 

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