Vorpalines épées de la logique (A.-F. Ruaud)

Publié le par alice-in-wonderblog

panorama_fantasy_merveilleux.jpg

 

En 2004 sortait, aux éditions Les Moutons Electriques, un très bel ouvrage à vocation encyclopédique au grand format (27 x 19 cm) et d'un certain poids (plus de 430 pages) intitulé Panorama illustré de la fantasy & du merveilleux. Comme son titre l'indique, le livre présente une très riche iconographie (en noir et blanc) mais également passe en revue les créateurs et oeuvres essentiels du genre, de ce que l'on appelle communément La Matière de Bretagne (le cycle Arthurien) jusqu'à des auteurs contemporains comme Neil Gaiman, David Calvo ou Fabrice Colin.

Placé sous la direction d'un auteur-maison des Moutons Electriques (André-François Ruaud), l'ouvrage bénéficie pour la rédaction des articles - outre Ruaud lui-même - de la participation d'un grand nombre d'auteurs et non des moindres puisqu'on y trouve la présence de Michael Moorcock, Michal Swanwick, Fabrice Colin, Léa Sihol, David Calvo, Francis Berthelot et quelques autres. 

 

Bien évidemment, Lewis Carroll se devait de figurer dans l'ouvrage, dès la page 55 d'ailleurs, ce qui montre sa place de précurseur dans le domaine du merveilleux. Ruaud lui consacre donc huit pages, intitulé Vorpalines épées de la logique. Le contenu est sans grande suprise pour qui connaît déjà assez bien l'oeuvre et la vie de l'auteur, l'article ayant avant tout une fonction informative comme dans toute encyclopédie et l'on pourra regretter que l'auteur (comme c'est le cas pour d'autres articles de l'ouvrage) s'appesentisse davantage sur la vie privée de Carroll plutôt que de livrer une petite analyse de l'oeuvre elle-même, qui en est réduite à la portion congrue. Le jolie titre de l'article est d'ailleurs assez trompeur sur ce point. Soit. Ruaud survole donc le parcours personnel et (un peu) littéraire de Carroll avec la double exigence d'être à la fois concis tout en donnant une bonne idée d'ensemble au néophyte. 

 

J'y ai néanmoins trouvé quelques petits détails intéressants.

 

Ainsi, le pseudonyme que se choisit Charles Lutwige Dodgson provenait, au départ, de la traduction de Charles Lutwige en latin, donnant ainsi Carolus Ludovicus qui, traduit à nouveau en anglais, donna Lewis Carroll. 

Anecdotique, certes, mais toujours plaisant à savoir.

 

Plus intéressante est la citation (et traduction) de la critique pertinente de Harry Morgan, rédigée en 2003, concernant le roman relativement complexe Sylvie et Bruno, que je reproduis ici tel quel :

 

Il y a des idées pour une demi-douzaine de romans passables (le roman ecclésisiastique correspondant au "monde réel", le conte merveilleux héroïco-grotesque de Outland, l'histoire de fées dans le monde rél qui annonce Puck of Pook's Hill de Kipling et Peter Pan de Barrie, l'histoire fantastique de la montre qui permet de remonter le temps ou de le faire s'écouler à l'envers, et ainsi de suite...), mais rien de cela ne fait corps, rien de cela ne se développe de façon naturelle, et on reste interdit devant le résultat [...] C'est bien l'hétérotopie du roman qui pose problème, et non l'hétérogénéité du matériel. Sylvie et Bruno n'est ni plus ni moins décousu que les Alice, mais ceux-ci trouvent leur unité dans la cohérence de leur monde, [...] tandis que, dans Sylvie et Bruno, le passage constant du monde réel au monde merveilleux [...] ou à un état crépusculaire [...] est difficilement intelligible [...] rapidement lassant.

 

J'aurai pour ma part l'occasion de revenir plus tard et de manière plus approfondie dans ce blog sur ce roman qui, pour être effectivement nettement moins maîtrisé que les deux Alice, n'en reste pas moins intéressant, voir fascinant... par intermittence.

 

Enfin, suivant le même principe que précédemment, Ruaud cite et traduit un extrait de la préface écrite par le romancier Will Self pour la belle édition d'Alice publiée en 2001 par Bloomsbury avec les excellentes illustrations Mervyn Peake (et qui connut une édition française chez Calmann-Lévy de belle qualité également mais gâchée par une traduction consternante d'un certain Laurent Bury sur laquelle je ne me priverai pas de revenir également ultérieurement sur le blog). 

Voici l'extrait : 

 

De nombreuses années à lire de nombreux livres m'ont amené à une théorie de critique littéraire assez bizarre, à savoir que la signification des textes se trouve désignée par la prépondérance d'un unique mot. Dans Alice's Adventures in Wonderland, ce mot est "curieux" (dans Les Frères Karamazov il s'agit de "extase", mais ça ne nous concerne pas ici). Le mot "curieux" apparaît si fréquemment dans le texte de Carroll qu'il devient une sorte de tocsin nous éveillant hors de notre rêverie. Mais ce n'est pas l'étrangeté du Pays des Merveilles d'Alice qui nous est ainsi rappelée - c'est la bizarre incompréhensibilité du nôtre.

 

Curiouser and curiouser ! cried Alice. 

Publié dans Bibliographie

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article